COURS : LA METHODE ABC (Activity Based Costing)
INTRODUCTION ET DÉFINITION
La méthode ABC tire cette dénomination de l'expression anglo-saxonne
servant à la désigner : Activity Based Costing, ce qui
peut se traduire par comptabilité d'activité.
C'est une méthode de comptabilité analytique qui prolonge et complète les
méthodes traditionnelles, dont elle cherche à pallier les
insuffisances.
Pour voir comment
se situe la méthode ABC, un rappel rapide des principes de la comptabilité semble nécessaire.
Nous étudierons successivement :
• les objectifs,
• la logique des traitements,
• les variantes possibles.
Nous verrons ensuite en quoi l'évolution des entreprises et de leurs
marchés a posé de nouveaux problèmes, que la méthode
ABC prétend résoudre.
I- OBJECTIFS ET PROBLÉMATIQUE
A l'origine, la comptabilité analytique d'exploitation (CAE), ou
comptabilité de gestion, servait essentiellement à déterminer
le coût de revient des articles vendus.
Cet objectif a été peu à peu élargi et modifié pour
en arriver à l'ensemble défini par le Plan
comptable révisé :
d'une part,
• connaître les coûts des différentes
fonctions assumées par l'entreprise,
• déterminer les bases d'évaluation
de certains éléments de son bilan (stocks
de produits finis par exemple),
• expliquer les résultats en
calculant le coût des produits (biens et services)
pour les comparer aux prix de vente
correspondants;
d'autre part,
• établir des prévisions de charges et
de produits d'exploitation (coûts
préétablis et budgets
d'exploitation par exemple),
• en constater la réalisation et expliquer les écarts qui
en résultent (par
exemple contrôle des coûts et des
budgets).
Cet important développement du rôle de la comptabilité analytique résulte
des transformations observées à la fois dans ce que vend
l'entreprise et dans la façon dont elle le fait.
1- Ce que vend l'entreprise
Aujourd'hui, la notion de produit n'est plus aussi
nette qu'autrefois :au lieu d'un ensemble de pièces, c 'est de plus en plus
une combinaison de services et de fonctions qu'achète le
client. Le produit lui-même se diversifie fortement, et sa durée de vie se
raccourcit en
proportion. Il en résulte la nécessité de ne pas attendre sa mise sur le
marché pour en calculer le coût : il faut le faire maintenant de
plus en plus tôt, pratiquement dès le stade de la conception.
La lenteur des méthodes traditionnelles les rend ainsi de moins en moins
propres à satisfaire les besoins de la gestion
2- Comment se forment les coûts ?
Autrefois, les coûts de revient comprenaient une grosse majorité de coûts
directs (souvent de l'ordre de 70 %), c'est-à-dire
directement affectables aux produits. Les coûts non directement affectables aux produits pouvaient faire l'objet de
répartitions globales : le choix de la clé de répartition
influait peu sur le résultat.
Le traitement était en gros le suivant :
matières premières
+ main-d’œuvre directe
= coût direct
+ coûts indirects répartis
= coût de revient.
Cette façon sommaire d'opérer, avec en particulier une répartition des
charges indirectes sous forme de pourcentage fixe d'un
élément direct (souvent le nombre d'heures directes), pouvait
s'admettre tant que la proportion de charges indirectes, c'est-à-dire non d irectement
affectables aux produits, n'était pas trop forte. Car le résultat de leur
déversement sur le coût des produits dépendait finalement assez peu des
clés de répartition adoptées.
Il n'en va plus ainsi actuellement où les proportions ont été inversées,
avec des coûts directs qui ne constituent souvent que
moins de 30 % du coût total, comme l'indique le schéma
suivant
Non seulement la répartition, en fonction de clés globales, des charges
indirectes crée un élément d'arbitraire dans le calcul
des coûts de revient, mais elle obscurcit le contrôle,
puisque personne ne se sent plus responsable de charges ainsi tronçonnées.
Ces deux préoccupations ont donné lieu à de nombreuses études qui ont fini
par modifier profondément les systèmes de calcul des coûts de
revient.
a) Le circuit traditionnel de
répartition des charges indirectes : la méthode
des centres d'analyse
Au lieu d'une clé globale, on a voulu répartir en plusieurs fois, afin de
cerner de plus près le processus de production et de
vente. On décompose à cet effet l'entreprise en cellules
relativement homogènes, c'est-à-dire dont le niveau d'activité puisse se
repérer par un
paramètre simple et visible baptisée unité d'œuvre. Ces cellules sont généralement appelées
centres d'analyse ou centres de responsabilité.
Une première opération répartit les charges entre les centres. Après cumul
des fractions de charges affectées à chaque centre,
on divise les totaux ainsi obtenus par les nombres d'unités d'œuvre correspondants, ce qui donne le coût de chaque unité
d'œuvre. Il ne reste alors plus qu'à répartir sur les
produits les charges affectées aux centres, en fonction des unités d'œuvre consommées par chaque produit et à chaque stade du processus de
production et de distribution.
Dans le cas général, le schéma est le suivant
Comme on le voit, il est assez complexe, et l'entreprise a souvent du mal à
obtenir de son personnel des imputations sincères et exactes. Il y
a déjà là matière à réflexion.
b) Besoins du contrôle
Mais à cela s'ajoute la nécessité de contrôler une masse de charges
indirectes de plus en plus importantes par rapport aux
autres. Il en résulte que la répartition sur les centres d'analyse perd son caractère d'homogénéité et ne prend plus en compte tous
les coûts, en particulier les coûts cachés. Deux voies ont été
explorées à ce sujet, la méthode budgétaire
et la comptabilité à coûts incomplets.
• La méthode budgétaire permet de déterminer les valeurs « normales » de
toutes les catégories de charges. Dans la mesure où les prévisions ont été
faites correctement, les écarts entre charges réelles et charges budgétées restent faibles, et les analyses peuvent porter sur les budgets,
dont on connaît
a priori la composition.
• La comptabilité à coûts incomplets renonce à répartir les charges indirectes
sur les produits. Elle évite ainsi de les diluer
dans des ensembles incontrôlables
d'imputations aux niveaux les plus fins. Les masses non réparties peuvent être plus facilement analysées
par nature.
Ces deux approches, non exclusives l'une par rapport à l'autre, sont à la
base de la
comptabilité d'activité.
II- Principe de la comptabilité ABC
L'objectif est de ne décomposer les charges indirectes que dans la mesure
où l'opération leur conserve un minimum d'homogénéité. On renonce
en conséquence aux structures à
base de centres d'analyse et/ou de responsabilité, pour leur préférer la
notion d'activité.
L'activité. D'après Philippe Lorino, une
activité est un ensemble de tâches élémentaires :
- réalisées par une entité,
- faisant appel à un savoir-faire spécifique,
- homogènes du point de vue de leur comportement
de coûts et de
performances,
- permettant de fournir un output (une pièce fraisée, une facture¼),
- à un client interne ou externe,
- à partir d'un panier d'inputs (travail, machines, information).
Dans cette
définition, le mot « entité » ne désigne pas nécessairement un poste de l'organigramme des responsabilités de
l'entreprise. Il peut s'agir d'une fraction de centre d'analyse, du regroupement de plusieurs de telles
fractions, etc. L'important est d'obtenir des cellules suffisamment homogènes pour que l'application de coûts y
ait un sens.
La méthode
consiste alors à définir une « cartographie » complète des activités de
l'entreprise, afin de pouvoir répartir entre ces activités l'ensemble des
charges fixes.
Arrêtée à ce stade, l'opération permet déjà de bâtir un système efficace de
contrôle. On peut aussi la poursuivre par le calcul du coût
unitaire de chaque activité, en vue d'une
répartition entre les produits des ressources consommées par eux.
1- Mise en œuvre de la méthode
Pour garder à la méthode toute sa généralité, on ne parlera pas de produits
mais d'objets de coût. On évitera de même d'examiner les centres d'analyse et
centres de responsabilité qui
ont pourtant l'avantage de permettre de définir des responsables - , pour
ne tenir compte que des entités précédemment
définies, les activités, et des ressources consommées par
elles.
Le schéma général est donc le suivant :
Il faut donc commencer par dresser une liste, aussi exhaustive que
possible, de toutes les activités dont la juxtaposition
représente l'entreprise dans son ensemble. On procédera
ensuite à l'allocation, entre ces activités, de toutes les ressources
consommées.
Reprenons successivement ces différents points
a) Analyse des activités.
Il s'agit de définir ce que fait l'entreprise. Une activité consomme
des ressources et fournit une production mesurable.
Les activités peuvent être de nature très variées. Elles ne concernent pas seulement les produits fabriqués et vendus, mais s'étendent
aux activités commerciales, administratives, d'études et de
recherches, etc. Leur détermination doit être faite en allant
suffisamment dans le détail pour pouvoir isoler les paramètres significatifs.
Sauf dans le cas de fabrications particulièrement simples, une activité du
genre « fabriquer
tel produit » est trop générale car elle met en œuvre plusieurs facteurs. Il faudra préciser «usiner telle
pièce». Et définir aussi des activités telles que « rédiger un bon de commande,
une
facture, un bordereau de livraison », « relancer un client », « réceptionner
des
marchandises », etc.
Nécessairement détaillée, la nomenclature des activités ne doit toutefois
pas être poussée trop loin, car on risquerait de
rendre trop difficile les tâches d'imputation demandées aux
exécutants, et de multiplier ainsi les erreurs de codification. Quelques
dizaines d'activités
semble le maximum à prévoir pour une entreprise normale.
Mais il importe que la décomposition soit
véritablement exhaustive, puisque l'on ne saurait laisser sans imputation aucune charge, si faible
qu'entreprise soit le montant. Pour cet inventaire, on peut s'appuyer sur une typologie du genre de celle proposée
par Baranger et
Mouton, fondée sur la nature des activités :
• Activités de conception, qui correspondent non seulement à tout ce qui est
étude et mise au point des produits avant leur mise en production, mais
encore aux tâches de réorganisation des services, bureaux, etc., celles
aussi
qui touchent aux diverses stratégies de l'entreprise. Leur gestion est
délicate, puisqu'il existe un décalage dans le temps, souvent
important, entre la consommation de ressources et la
création de valeur, que par ailleurs l'output n'est pas toujours facile à mesurer, que leurs performances se mesurent
souvent par l'intermédiaire d'autres activités influencées par elles, et
qu'enfin
leur faible répétitivité les rends difficiles à appréhender par les
méthodes
classiques de standards et de budgets.
• Activités de réalisation, les plus classiques et celles auxquelles on pense en
premier. Leur output est
relativement facile à identifier et à mesurer.
• Activités de maintenance, celles qui ont pour objet de conserver le capital
économique de l'entreprise. Il ne s'agit donc pas seulement de la maintenance des machines, mais aussi de celle d'un portefeuille de clients,
de la formation du personnel pour entreprise maintenir le
niveau et, dans le
même cadre d'idées, de la recherche qui permet à l'entreprise d'améliorer
sans cesse la qualité et la compétitivité de ses produits et donc de
survivre
face aux concurrents.
Une liste des activités ayant été dressée, qui couvre exactement toute
l'entreprise sans omission ni recouvrement, il faut maintenant procéder à
ce qu'on peut appeler une modélisation des coûts. C'est-à-dire un examen de tous les
paramètres susceptibles d'agir sur le
coût de chaque activité, en vue de procéder à une allocation des ressources aux
activités.
b) Modélisation des coûts.
Si les activités ont été judicieusement choisies, la plupart des charges
sont directes par rapport à elles. On voit l'avantage
important que présente cette analyse par rapport à la
décomposition habituelle en centres de responsabilités, puisque le recours
à des clés de répartition, toujours contestables, peut être réduit
au minimum. Si cette condition n'est pas remplie, on peut avoir intérêt à modifier quelque peu la
définition de l'activité pour
simplifier la liaison entre charges et activités.
Les ressources — terme par lequel les promoteurs de la méthode ont rebaptisé
les charges pour mieux montré qu'ils ne les considèrent pas
comme une fatalité, mais au contraire
comme des facilités mise à disposition, et dont il convient d'user avec
parcimonie — doivent donc être
réparties entre les activités en fonction de leurs «consommations ». Les
paramètres chargés de mesurer ces consommations, analogues aux unités d'œuvre de la
comptabilité classique, sont appelés inducteurs de coûts. Comme nous
venons de le dire —
affirmation tirée de l'expérience — la liaison est souvent directe,
c'est-à-dire qu'un seul inducteur suffit à mesurer la
consommation d'une catégorie de ressources par une activité. Mais cette
liaison peut être de forme variable. Par exemple, pour des fabrications,
l'indicateur peut être, selon le cas :
• le nombre de lots (réglages et mises
au point de machines par exemple),
• le temps de calendrier (éclairage,
chauffage de l'atelier),
• le nombre des clients susceptibles
d'acheter le produit (activités de support
clients),
• le nombre de pièces produites,
• etc.
Ce genre de typologie permet de déterminer dans chaque cas quel est
l'inducteur le plus pertinent pour l'activité étudiée,
après quoi le coût de l'inducteur sera calculé le plus souvent par simple division du montant total de la ressource par le nombre
d'inducteurs
consommés.
c) Domaines d'application.
Une première utilisation consiste, bien entendu, à calculer des coûts de
revient comme avec une comptabilité traditionnelle.
Mais, l'affectation des coûts aux activités étant beaucoup moins arbitraire qu'avec un réseau de centres d'analyse, on peut s'en
servir autant et davantage pour le calcul économique
et le contrôle.
• Calcul du coût de revient des
produits. Après avoir dressé la liste des activités,
on détermine le plus finement possible les ressources consommées par
chacune d'elles. Un traitement analogue permet ensuite de repérer, pour
chaque produit, les activités auxquelles il fait appel et de lui affecter le
coût
correspondant en fonction de ses volumes de consommation d'inducteurs.
• Étude de rentabilité des produits. On peut le faire à partir des coûts de revient
ci-dessus. Mais la question posée est souvent de choisir entre deux
produits ou entre deux types de fabrication. Il suffit dans ce cas de ne
s'occuper que
des coûts qui risquent de ne pas être les mêmes dans les deux cas. A la
limite,
on tombe sur les seuls coûts directs au sens classique.
• Étude de rentabilité des clients et
des réseaux de distribution. La notion
d'activité et
d'inducteur de coût concerne aussi bien les ressources
commerciales et d'administration des ventes. Il est donc plus facile
qu'avec
une comptabilité classique de voir quels sont les clients, les réseaux, les
secteurs géographiques, etc. dont le coût peut sembler
excessif eu égard aux
marges dégagées par les ventes correspondantes.
• Diagnostic interne et amélioration
des performances. C'est un développement
important, qui justifie le terme d'ABM (Activity Based Management) parfois utilisé au lieu
d'ABC. On peut parler d'un véritable changement de
perspective, puisqu'au lieu de considérer les charges comme quelque chose
d'inéluctable que l'on se borne à enregistrer, la méthode adopte un point
de vue positif vis-à-vis de ressources dont on doit toujours
pouvoir réduire la
consommation par les différentes activités.
d) Démarche générale
La méthode s'applique essentiellement à une entreprise organisée en
activités. Chacune d'entre elles étant « chaînée » à
une autre, il se constitue ainsi une ou plusieurs chaînes de
valeurs.
La mise en place de ce type de calculs nécessite normalement 6 étapes :
1. Identification des activités,
2. Évaluation des ressources consommées par lesdites activités,
3. Repérage et choix des inducteurs de coûts,
4. Regroupement des centres pour lesquels l'inducteur est le même,
5. Calcul du coût unitaire de l'inducteur,
6. Affectation du coût des activités aux objets
de coûts.
2- Analyse des compétences et coûts de revient
a) Problématique :
La comptabilité analytique
d'exploitation (C.A.E.), a pour objet le calcul des coûts de
revient complets. Les méthodes dont elle use se trouvent étroitement liées
d'une
part à la structure des organisations et d'autre part aux objectifs que
s'assignent les
organisations. Les processus de production se sont caractérisés par leur
relative constance depuis le début des années 1920
jusqu'aux environs des années 1970. En effet, leur caractéristiques
évoluent peu, en particulier on remarque des organigrammes
hiérarchiques-linéaires liés à des systèmes de calcul des coûts qui
certes s'affinent, mais qui ne changent pas fondamentalement sur le plan
conceptuel. Cet état s'explique en partie par la structure de la demande,
rappelons que les années 1945-1960 sont consacrées à la
reconstruction et à la satisfaction des
besoins en équipement de base des ménages.
• Dans les années 1970, la demande
évolue radicalement, le consommateur devient
plus exigeant et impose la flexibilité de l'outil de production. ITT, IBM
et bien d'autres sont conduits à se restructurer en
vue de répondre aux besoins d'individualisation,
d'identification et aussi aux changements rapides de la demande des
consommateurs.
Cette composante essentielle des systèmes de production contemporains se trouve en contradiction avec des organisations
constituées sur la base de la
standardisation. Par conséquent, le levier du développement glisse
imperceptiblement de la minimisation des coûts de revient d'une production de
masse à la fabrication de produits de grande qualité en nombre relativement
limité.
Les organisations doivent donc s'adapter au niveau de leur structure et nécessairement se recentrer au niveau de leurs activités autour de leurs
domaines de compétences. Les choix stratégiques résultent donc
d'une analyse pertinente des compétences. Les deux schémas ci dessous résument
l'évolution de cette problématique.
Commentaires
Enregistrer un commentaire